Patrick Amico : « Notre volonté de faire est impérieuse »

Patrick Amico est adjoint à la maire de Marseille, chargé de la politique du logement et de la lutte contre l’habitat indigne. Il croit qu’un véritable partenariat va s’instaurer avec la Métropole sur la question du logement. Ses objectifs : une production accrue de logements sociaux sur la ville (3 000 par an), une politique volontaire de travaux d’office sur l’habitat indigne et un projet commun sur le centre ancien avec les organismes Hlm.

(photo Michel Couartou)

Vous êtes adjoint à la maire de Marseille en charge de la politique du logement. A sa création, la loi a conféré à la Métropole, la compétence habitat et elle a acquis par ailleurs la délégation des aides de l’Etat, les aides à la pierre, pour le logement social. La présidente de la Métropole a été une adversaire acharnée de la mairie lors des élections municipales. Vous pensez que vous allez pouvoir développer sereinement une politique du logement à Marseille ?

Oui, la loi délègue effectivement les aides à la pierre aux intercommunalités parce qu’elles ont la compétence de l’habitat et donc, pour ce qui nous concerne, à la métropole Aix-Marseille-Provence. Mais quand il s’agit d’élaborer un document de planification tel que le PLH (le programme local de l’habitat) par exemple, toutes les communes y participent et argumentent de leur propre politique du logement. Marseille représente 48 % de la population du territoire métropolitain. Dans l’élaboration de son PLH, la Métropole sera donc bien obligée de tenir plus que compte de la politique du logement de la commune de Marseille.

N’oublions pas, par ailleurs, que la commune reste fortement maître de son développement via le PLUi (le plan local d’urbanisme intercommunal). C’est aussi elle qui délivre les permis de construire. N’oublions pas non plus que la mairie reste en première ligne pour l’habitat indigne (périls, insalubrité…) au titre des pouvoirs de police du maire qui m’ont été délégués (et je tiens à ce que Marseille garde la main sur ce sujet). La construction de logements sociaux reste aussi imputable à la responsabilité du maire.

Je suis intimement persuadé que tout le monde trouvera son compte dans un vrai partenariat. Je ne crois pas au blocage. Nous travaillons en ce moment à un retissage des liens entre la Ville et la Métropole. Je connais bien les services métropolitains qui sont composés de gens de grande compétence. Nous allons bâtir ensemble une politique du logement pour Marseille, avec les moyens de la Métropole, qui les tient de l’Etat, dans le cadre de dispositifs que nous allons mettre en place ensemble et qui préciseront clairement qui fait quoi et comment. Nous allons démontrer que ça marche.

Vous parliez de l’habitat indigne, dont vous voulez garder la compétence. C’est un vrai défi pour la nouvelle équipe municipale, et donc pour vous…  

C’est un immense défi. Le rapport Nicol parlait de 40 000 logements indignes à Marseille. C’est 13 % des résidences principales ! C’est énorme. Cela représente 10 % de tous les logements indignes de France métropolitaine. Cela ne pourra pas se traiter de manière conflictuelle, c’est impossible.

Il y a une vraie urgence et nous allons y répondre. Tout d’abord en mettant en place une vraie politique de réalisation de travaux d’office. La Ville va se substituer aux propriétaires défaillants dans tous les cas d’urgence et se retournera ensuite contre eux. Nous avons les moyens financiers de cette intervention (nous avons remis de l’argent sur ce sujet dès le mois de juillet) et nous structurons les moyens en personnels (il y a 100 collaborateurs dédiés spécifiquement à ces sujets aujourd’hui, il y en aura jusqu’à 150 demain).

Notre volonté de faire est impérieuse. Des choses concrètes vont se voir très vite.

Vous pouvez préciser vos axes d’intervention dans ce domaine ?

La première ligne directrice ce sont les propriétaires, occupants ou bailleurs. La grande majorité sont de bonne foi. Nous allons les aider. D’abord, en diffusant l’information le plus largement possible sur les dispositifs d’aides dont ils peuvent bénéficier. Nous allons étudier, ensuite, la mise à disposition dans les mairies de secteur de pôles de ressources qui vont les aider dans le montage des dossiers, dans l’utilisation des outils numériques que certains ne maîtrisent pas. Et enfin, en ciblant de façon très précise et systématique les situations d’insalubrité qui abritent le plus souvent les marchands de sommeil. C’est une compétence de l’Etat qui a été déléguée à la Ville. Et nous serons impitoyables.

Je compte aussi développer le principe du permis de louer. Il est expérimenté actuellement sur divers sites, et il faudrait sans doute l’étendre à beaucoup plus de quartiers avec toute une batterie d’organismes indépendants, sous contrôle de la Ville de Marseille, pour effectuer les expertises. Dans certains quartiers précis, pour analyser l’évolution des loyers, je voudrais créer un observatoire des loyers. Il nous permettra de mieux appréhender la réalité du marché locatif. A Noailles, par exemple, on parle de disparités très significatives. Je veux qu’on puisse établir une échelle des loyers qui soit rendue publique. Que tout le monde puisse en avoir connaissance.

Sur le centre ancien de Marseille, une société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN) va avoir en charge toute la réhabilitation du bâti ancien. C’est une société dont la Métropole est l’actionnaire principal. Comment allez-vous pouvoir travailler avec elle ?

Le premier Conseil d’administration de cette SPLA ne s’est pas encore réuni (l’interview a été réalisé mi-septembre 2020). Laissons-la se mettre en place. Comme je le disais au début de notre entretien, je suis convaincu que nous arriverons avec la Métropole à travailler et à mettre en place ensemble une politique de l’habitat pour Marseille. Que ce soit entre les élus ou entre les services.

Sur cette problématique du centre ancien, tous les outils susceptibles d’intervenir, la SPLA-IN, la Soléam, Euroméditerranée… ne sont pas des outils patrimoniaux. Or, il va y avoir un besoin très important de logements « tiroirs », comme dans toute opération de rénovation, pour reloger les gens provisoirement pendant les travaux. Marseille Habitat pourrait être un outil idéal, patrimonial, pour gérer ce type d’opérations et peut y jouer un rôle clé. Comment faire évoluer cette société, quels moyens lui allouer, pour quoi faire ? Il y a là une vraie stratégie à construire, complémentaire de l’action de la SPLA.

En ce qui concerne les logements sociaux, vous parliez aussi de maîtrise de la stratégie. Quels sont vos projets en la matière ?

Un chiffre va être très parlant : nous recevons, sur mon bureau, entre 20 et 30 demandes de logement social par jour. Beaucoup sont réellement motivées par des conditions d’habitat inacceptables. Il y a dans cette ville un vrai problème de production de logements de qualité, sociaux et très sociaux. Nous allons tout mettre en œuvre pour infléchir le plus vite possible la tendance, mais nous devons tabler sur la mandature pour arriver à asseoir une vraie politique.

D’abord, nous fixons un seuil de projet de 20 logements au-delà duquel nous aborderons avec le constructeur la question de la présence de logements sociaux dans l’opération. Il faudra évidemment traiter différemment les quartiers, selon que le logement social y sera déjà plus ou moins présent. Ce sera un vrai travail de dentelle, au cas par cas, programme par programme, avec le levier des servitudes de mixité sociale que nous allons actionner au niveau du PLUi.

Quelques autres chiffres parlants : en 2019, la métropole de Lyon aura financé 4 200 logements sociaux. La même année, il y en aura eu moins de 3 000 sur Aix-Marseille-Provence, alors que la population de cette dernière est supérieure de près de 40 %. Aix-Marseille-Provence a réalisé 48 % de ses objectifs quantitatifs sur cette année 2019. Ce n’est pas normal. A Marseille, l’année dernière, il a été livré moins de 1 100 logements locatifs sociaux. Notre objectif sera d’atteindre le plus vite possible le chiffre de 3 000 logements sociaux par an, et pour toute la mandature. Mais cela demande un vrai travail de programmation que nous ne sommes pas encore en mesure de produire. Nous y travaillons.

Vous parlez d’un seuil de déclenchement de logements sociaux dans les programmes immobiliers. Vous en avez parlé avec les promoteurs ?

Nous sommes en discussion évidemment. Je voudrais arriver à signer une Charte d’engagement entre la Ville, les promoteurs, les organismes Hlm et la Métropole. Il faut que tout soit clair pour tout le monde, les promoteurs y gagneront en sécurité pour leurs opérations. Les différentes typologies de logements nécessaires, le niveau de qualité attendu, le niveau des prix en Vefa, l’objectif de production global… cette Charte devra clarifier tout cela.

Est-ce que vous pensez associer les bailleurs sociaux aux actions qui seront menées sur le centre-ville de Marseille ? Et si oui, de quelle manière ?

C’est pour moi une évidence que de solliciter les organismes Hlm. Mais il faut bâtir un vrai projet que nous pourrons partager, une vision que nous pourrons alors mettre en œuvre ensemble. Je pense qu’il va falloir quelques mois pour mettre ce projet en place.

D’ores et déjà, j’ai la conviction que les bailleurs sociaux peuvent assumer un rôle d’aménageur sur des ilots entiers. Il y a des opportunités. Mais de quelle façon ? Pour l’instant, les DIA sont proposées aux bailleurs sociaux, la Métropole pourrait aussi acheter et céder à bail. Mais l’important n’est pas au niveau du comment, mais du pourquoi et pour quoi faire. Que voulons-nous faire ensemble ? Il ne s’agit pas forcément simplement de construire ou de réhabiliter, la dimension sociale est essentielle et c’est la vocation d’un organisme Hlm. Je voudrais qu’on articule tout ça.

BIO

  • Patrick Amico, 65 ans, est diplômé de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées.
  • Il intègre le groupe SCIC (Caisse des dépôts) en 1981 pour y être successivement ingénieur, directeur d’agence et directeur de région.
  • En 1998, il est nommé directeur, au plan national, des constructions de la SNI, puis directeur SNI sud-est.
  • Il rejoint ICF Habitat sud-est Méditerranée en 2010 en tant que directeur général et devient président du directoire en 2011.
  • Le 28 juin 2020, il est élu conseiller municipal de Marseille et reçoit la délégation de la politique du logement le 22 juillet.
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