PIERRE FRANC : « NOUS SOMMES TRES EN DESSOUS DES BESOINS REELS DE PRODUCTION »

Pierre Franc est le nouveau chef du service Energie Logement de la Dreal Provence-Alpes-Côte d’Azur. La production de logements sociaux en 2019 le préoccupe car elle met en évidence la motivation insuffisante de certaines collectivités, à côté d’un effort général de toutes les autres. En 2020, la mise en œuvre de la réforme de la demande et des attributions sera pour lui un des chantiers phares.

Les chiffres de la production 2019 de logements sociaux viennent d’être stabilisés, selon la formule consacrée. On atteint presque les 10 000 logements. Quel commentaire vous inspire ce chiffre ?

Nous avons agréé exactement 9 965 logements sociaux pour l’année 2019. L’objectif fixé était d’environ 13 000 logements. Nous sommes bien en deçà et nous devons donc nous demander pourquoi. Je précise que cet objectif avait été établi en prenant en compte ce qui était réalisable et non pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs SRU. Nous sommes donc très en-dessous des besoins réels de production.

Quels enseignements tirer ? L’aspect négatif, c’est qu’il y a dans la région des territoires insuffisamment dynamiques, et pas seulement dans l’arrière-pays ou dans les zones non tendues où la demande est faible. La Métropole Toulon Provence Méditerranée (TPM) a produit moins de 200 logements et la ville centre Toulon n’a produit que 7 logements sociaux ! Cela est difficilement compréhensible pour une grande métropole où il y a régulièrement de nouveaux habitants qui viennent travailler et donc des besoins évidents pour loger cette population dont une grande partie composée d’employés modestes.

Dans une moindre mesure, la métropole Aix-Marseille Provence (AMP) sur un objectif de 5 000 logements n’en a agréé que 3 300. Il faut poursuivre les efforts sur la construction de logements sociaux, en particulier dans les quartiers les plus favorisés de Marseille et
d’Aix-en-Provence.

En revanche, Nice Côte d’Azur (NCA) a parfaitement compris qu’il faut absolument être capable de loger des populations modestes, ne serait-ce que parce que le logement social est un outil du développement économique et que favoriser la diversité des populations dans un territoire est un atout non négligeable.

Un bilan plutôt négatif, donc, pour vous en 2019…

Non, il y a aussi des raisons d’être positif. Si on ajoute aux 9 965 logements agréés les 1 700 logements qu’aurait dû produire AMP et les 500 logements qu’on aurait dû agréer sur TPM, la production dépasserait 12 000 logements, une des meilleures de tous les temps. Ce qui veut dire que les autres territoires ont rempli leur mission. Et de fait, on voit bien que beaucoup se sont mobilisés et ont réellement joué le jeu.

Au-delà, 2019 reste tout de même la 5e meilleure année, ce qui n’est pas si mal. Entre 2017 et 2019, la tendance générale est largement positive.

L’année qui vient, 2020, sera celle de l’élaboration du fameux bilan triennal de production sur lequel vont s’appuyer les décisions préfectorales de carence et d’établissement de pénalités pour les communes qui n’auront pas suffisamment construit. A partir du bilan précédent, les communes carencées en Provence-Alpes-Côte d’Azur représentaient 27 % de l’ensemble des carences nationales (1). Comment cela pourrait-il évoluer après le dernier bilan ?

Il est encore trop tôt pour le dire. A ce stade, nous n’avons aucune certitude. Le bilan va s’établir tout au long de l’année pour être finalisé fin 2020. Nous le saurons à ce moment-là. C’est un exercice que les maires redoutent mais qui permet réellement d’objectiver la manière dont chaque commune prend ses responsabilités (ou non) en matière de logement social et comment elle respecte les engagements fixés par la loi.

Les critères étudiés pour décider ou non de prendre un arrêté de carence contre telle ou telle commune sont multiples. Il y a bien sûr les chiffres bruts, mais rentrent aussi en compte les capacités de libération de foncier sur la commune, le taux de tension en matière de logement, le positionnement politique par rapport à la question du logement social… C’est une étude au cas par cas, et c’est le Préfet qui en décide en dernier ressort.

Depuis le début, la Dreal est partenaire du Palmarès régional de l’habitat. Comment analysez-vous cet événement ?

Il est majeur. Le Palmarès régional de l’habitat permet de montrer de façon imparable que le logement locatif social d’aujourd’hui porte en lui une qualité architecturale de très bon niveau, qu’il est tout à fait capable d’une insertion urbaine réussie et qu’il procure des conditions de vie excellentes aux habitants.

Il faut casser l’image négative des Hlm et le Palmarès y contribue de façon forte. Non, les logements Hlm ne sont pas forcément dégradés, non les logements Hlm ne défigurent pas forcément le paysage urbain, non les logements Hlm n’abritent pas forcément des cages d’escaliers dédiées aux trafics illégaux.

C’est malheureusement ce qui peut se passer quand on concentre au même endroit, dans le même quartier, des populations défavorisées et en difficulté. La politique de l’Etat est au contraire d’éviter au maximum ces situations de ghettoïsation. Les lois Egalité & Citoyenneté et Elan invitent à construire plus de logements sociaux et obligent à attribuer au moins 25 % de logements en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) pour les ménages du premier quartile (les plus défavorisés). C’est un principe fort posé par la loi qui vise à favoriser la mixité sociale.

L’Association régionale a largement transmis auprès de ses adhérents l’information sur l’appel à projets que la Dreal lance pour promouvoir l’utilisation de matériaux biosourcés dans la construction de logements sociaux. Que représente-t-il pour vous ?

C’est un appel à projets important. Il est évident que les logements sociaux respectent les normes thermiques et énergétiques. Ce que nous cherchons, c’est aller plus loin, aller vers une excellence, vers du logement social plus inclusif, socialement bien sûr, mais aussi en matière environnementale en optimisant le rendement énergétique des logements. Cette année, nous consacrerons 200 000 euros pour aider les organismes Hlm à s’intéresser à l’utilisation des matériaux biosourcés. En fonction du retour d’expérience qui sera tiré à la fin de l’année, il est possible que le dispositif soit renouvelé en 2021.

La réforme de la demande et des attributions est un autre dossier auquel vous attachez beaucoup d’importance…

Tout à fait. Le gouvernement est vraiment soucieux de la bonne mise en œuvre de cette réforme, notamment pour ce qui est du passage à la gestion en flux des logements réservés et du travail sur la cotation. L’année 2020 sera cruciale pour la manière dont, tous ensembles, services de l’Etat, collectivités locales, Action Logement et bailleurs sociaux, nous allons bâtir les moyens de faire aboutir cette réforme. L’objectif est toujours le même : permettre aux publics prioritaires d’être réellement prioritaires. C’est pour cela que chaque réservataire aura désormais l’obligation d’attribuer 25 % de son contingent aux populations prioritaires.

La transition doit être douce. Nous allons avancer ensemble à notre rythme au sein de plusieurs groupes de travail pour identifier les freins et trouver les solutions communes. Et ce travail va être mené avec tous les acteurs du monde Hlm, bien sûr, mais aussi avec les élus concernés, en amont et en aval du CRHH.

L’Association régionale œuvre dans tous ces domaines. Comment voyez-vous la relation avec elle ?

C’est un partenaire précieux. Je m’aperçois que sur beaucoup de sujets, nous avons les mêmes approches, les mêmes analyses, nous faisons les mêmes constats. Développer la construction de logements sociaux dans la région est un objectif important et nous le partageons. Nous avons tout intérêt à allier nos forces dans cet effort.

Cela semble banal, mais je peux dire que nous sommes réellement dans le même bateau. Je sais que le monde Hlm a vécu des moments de grande tension avec le gouvernement. Nos deux structures tiennent bien évidemment compte de cette donnée nationale, mais nous ne perdons pas de vue les objectifs locaux. C’est là l’essentiel.

(1) 72 communes carencées en Paca en 2016 sur 269 constats de carence en France

Biographie :

Pierre Franc est ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts.

Il a fait tout son parcours professionnel dans la fonction publique, dans le secteur des infrastructures, des transports et de la mobilité.

Depuis septembre 2015, il est chef du service transports à la Dreal Paca.

Il « découvre » les sujets du logement et de la transition énergétique depuis septembre 2019.

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