N° 41 – décembre 2020

ENERGIESPRONG, UN NOUVEAU CONCEPT DE RENOVATION THERMIQUE QUI VISE ZERO ENERGIE CONSOMMEE 

Le dernier Club DDSE a invité l’entreprise GreenFlex pour présenter aux bailleurs sociaux EnergieSprong, un concept venu des Pays-Bas qui permet d’industrialiser les process de réhabilitation thermique des logements. L’Etat a d’ores et déjà décidé de consacrer une partie de l’enveloppe du Plan de relance pour aider les bailleurs sociaux qui adopteraient ce process.

 

 

 

 

 

 

Les panneaux préfabriqués d’EnergieSprong laissent une grande latitude à l’esthétique architecturale (photos GreenFlex)

Le dernier Club DDSE organisé par l’Association régionale, qui s’est déroulé en visioconférence le 11 décembre, était consacré au concept EnergieSprong, né aux Pays-Bas en 2012. De quoi est-il question ? EnergieSprong propose une méthode de réhabilitation des logements qui garantit « zéro énergie nette » pendant une durée de 30 ans. Ce qui signifie en clair que le logement rénové génère la quantité totale d’énergie requise pour son chauffage, son eau chaude et ses appareils électriques.

Cela ne peut se réaliser qu’en changeant totalement l’échelle de la rénovation énergétique des bâtiments, en massifiant et en industrialisant les process, notamment en utilisant des systèmes de panneaux de façades isolants préfabriqués. En France, l’Etat a décidé de développer EnergieSprong sur le territoire depuis deux ou trois ans et a sélectionné sur un appel à manifestation d’intérêt un « facilitateur », l’entreprise Greenflex, pour développer une filière économique qui puisse porter ce type de rénovation.

Une approche en coût global sur 30 ans

Sébastien Delpont, le directeur associé de GreenFlex, a expliqué la démarche aux bailleurs sociaux présents lors du Club DDSE. Le monde Hlm est en effet un enjeu « cible » pour cette massification des process, d’abord parce que l’ensemble des bailleurs sociaux peut mobiliser des réhabilitations sur un nombre important de logements et ensuite parce que le secteur Hlm est historiquement habitué à développer des innovations.

« Les organismes Hlm sont des maîtres d’ouvrage qui peuvent aisément comprendre l’approche en coût global d’un bâtiment sur un temps long, 30 ans par exemple. Et cette approche est essentielle dans EnergieSprong », explique Sébastien Delpont. Il rajoute : « Pourquoi se donner un objectif de zéro énergie ? Tout simplement parce que c’est un objectif facilement compréhensible et mémorisable par tout le monde. Comment on y arrive ? En réduisant les besoins de 70 à 80 % et en auto-produisant les 30 % restants ».

Tout repose sur la massification et l’industrialisation de solutions intégrées : panneaux d’isolation de façade, de toiture et modules énergie. C’est le nombre qui fera que les investisseurs et les industriels vont financer le développement de la méthode. Cela a déjà commencé en Auvergne-Rhône Alpes et en Pays de la Loire. GreenFlex lance tout juste sa campagne d’information en Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est le couplage de l’isolation avec une production d’énergie renouvelable locale, par exemple via des panneaux photovoltaïques en toiture, qui va permettre d’assurer le zéro énergie.

Une solution à la précarité énergétique des ménages

Au départ ce sont les majors du bâtiment qui ont pu répondre aux premières expérimentations lancées en Pays de la Loire, mais cette industrialisation ne veut pas (forcément) dire que seules les grandes entreprises pourront se positionner sur ce nouveau marché. « Cela peut être un bureau d’études qui va intégrer trois systèmes et les proposer aux maîtres d’ouvrage de façon fiable », précise Sébastien Delpont. Aujourd’hui des PME locales sont en train de se positionner sur le marché. On estime que 50 % du marché généré par EnergieSprong pourrait être assuré par des PME. En revanche, il est peu probable que des TPE de moins de dix salariés se positionnent sur ces marchés.

Sébastien Delpont insiste également sur le fait que la solution EnergieSprong n’est pas uniquement technique, mais qu’elle permet aussi aux bailleurs de prévenir la précarité énergétique de leurs locataires. « Sur un temps long, le coût de l’énergie va évoluer en moyenne de 4 % par an. Les salaires des ménages ne progressent que de 1 % l’an. Mathématiquement, certains ménages très modestes risquent de basculer dans une situation de précarité énergétique, et donc d’avoir peut-être même des problèmes de paiement de leurs loyers. Peut-être faut-il prévoir d’investir un peu plus au départ pour anticiper ce genre de situations… ».

Des simulations concrètes pour aider à la prise de décision des bailleurs

Investir un peu plus ? Mais combien au juste ? La réponse ne réside pas dans le coût lui-même d’EnergieSprong, mais plutôt dans la différence entre ce coût et les subventions auxquelles le bailleur aura accès. L’aide directe de l’Etat à travers le Plan de relance est acquise. Elle pourra être accompagnée, selon les cas, de financements complémentaires (financements européens, CEE bonifiés, abattement sur la TFPB…). Au coup par coup, les collectivités locales peuvent aussi, si elles le décident, soutenir ce type de projets de rénovation, comme elles l’ont fait en Pays de la Loire. Le coût de la maintenance sur 30 ans doit aussi être pris en compte pour le calcul du surcoût de départ. Et les locataires, qui vont faire des économies sur leur facture énergétique, peuvent être aussi, à la discrétion du bailleur, mis à contribution au travers du mécanisme de la troisième ligne de quittance.

« Il faut analyser tous ces paramètres pour pouvoir prendre une décision en toute connaissance de cause. C’est justement ce que nous proposons aux organismes Hlm : une étude préalable, au cas par cas, sur la situation de logements qu’ils ont identifiés, pour affiner au plus près le coût résiduel, une fois prises en compte toutes les aides possibles, et leur donner les éléments objectifs de la prise de décision », explique Sébastien Delpont.

Pour synthétiser, il s’agit en fait de passer de 15 fournisseurs différents à 3 fournisseurs pour des solutions intégrées : en isolation de façade, en toiture photovoltaïque et en ventilation. « Si la filière se structure vraiment, les coûts vont baisser de façon importante et ce sera aussi un avantage pour l’ensemble du mouvement Hlm. En Hollande, en 5 ans, les prix ont été divisés par 2 ».

Des projets expérimentaux lancés en Pays de la Loire

Le couplage des travaux avec une garantie de performance énergétique zéro énergie sur 30 ans oblige cependant à revoir le type de marchés que les bailleurs vont passer avec les entreprises. EnergieSprong ne peut se mettre en œuvre qu’à travers une procédure de conception-réalisation ou de marché global de performance. Et les pratiques des chargés d’opérations vont en être radicalement changées. « Si un groupement de bailleurs sociaux se met d’accord sur 80 % d’un cahier des charges commun, ça ne laisse effectivement plus que 20 % de marge d’autonomie. Le métier va changer… », prophétise Sébastien Delpont.

Trois projets expérimentaux sont actuellement exploités en France. Ils ont été réalisés par ICF Habitat, Vilogia et Néotoa. Tous ont atteint le niveau zéro énergie dès la première année d’exploitation. Patrick Goeuriot, directeur du développement d’ICF Habitat Nord-Est participait au Club DDSE pour faire part de son témoignage (voir son interview plus loin).

Quentin Moulenne, chargé de projets EnergieSprong en Paca et Occitanie, a détaillé pour les participants les potentialités de développement en Paca. Sur 234 000 logements, on estime que 135 000 ont besoin d’être rénovés et que 18 000 sont directement dans la cible d’EnergieSprong avec un objectif atteignable de « zéro énergie ». Si on vise une baisse significative de la consommation, sans aller jusqu’à cet objectif 0 mais en s’en rapprochant, il semble que 75 000 logements supplémentaires pourraient alors être considérés comme « compatibles » EnergieSprong. Des potentialités très significatives.

Atteindre une masse critique pour lancer les projets

Deux responsables de bureaux d’études étaient également présents pour témoigner de leur pratique. Le premier, Philippe Guiguon, président de Mireio (Moyen industriel de rénovation énergétique des immeubles occupés, sans aucune connotation avec Frédéric Mistral), explique le cheminement qui permet d’atteindre le « zéro énergie ». Si on part d’un budget moyen des ménages de 25 euros par m2 par an pour le chauffage (c’est un peu plus faible dans le sud), une vêture isolante des façades fait tomber le coût à 19 euros, un double flux thermodynamique dans la vêture le ramène à 10 euros, le pilotage intégral centralisé du système baisse encore le coût jusqu’à 3 euros et l’installation de panneaux photovoltaïques génère un bénéfice final pour le bâtiment de 3 euros le m2 par an.

Le deuxième énergéticien, Mathieu Garcia, directeur de Emenda (du verbe latin qui veut dire améliorer), est intervenu sur les projets EnergieSprong en Pays de la Loire. Il précise que « l’approche en coût global permet d’intégrer de nombreuses notions, y compris le confort du locataire ». Il conseille aux bailleurs de bien documenter l’état des logements éventuellement concernés. « Plus les informations sur l’état du patrimoine sont précises et plus les candidats (entreprises, industriels) pourront s’engager ».

Au final, GreenFlex se tient à la disposition de tous les bailleurs pour étudier avec eux la possibilité de s’intégrer dans le process EnergieSprong pour les rénovations futures de leurs logements. Et comme le rappelle un participant en fin de réunion, c’est le nombre qui fera la différence, soit parce qu’un bailleur aura une quantité non négligeable de réhabilitations thermiques à mener, soit parce que plusieurs bailleurs s’entendront sur un cahier des charges commun de réhabilitation.

L’Association régionale reste à l’écoute des bailleurs pour toutes questions.

SEBASTIEN DELPONT : « NOUS SOMMES LA POUR AIDER A LA DECISION DES MAITRES D’OUVRAGE »

Sébastien Delpont est directeur associé de GreenFlex, l’entreprise missionnée par l’Etat pour porter le développement d’EnergieSprong en France.

(photo GreenFlex)

Quel est le rôle exact de GreenFlex ? 

Nous avons été lauréats d’un appel à manifestation d’intérêt lancé par l’Etat. Nous sommes donc missionnés à partir de mars 2019, et pour deux ans et demi renouvelables, pour accompagner le développement d’EnergieSprong en France. C’est-à-dire que nous aidons les maîtres d’ouvrage à développer le concept tout autant que nous accompagnons la filière industrielle pour qu’elle puisse se structurer.

Pourquoi solliciter les bailleurs sociaux ?

Le choix de départ a été de travailler sur le logement social puis sur les bâtiments éducatifs (écoles, collèges, lycées et universités), avec l’idée de démarrer plutôt sur des gros volumes de patrimoine. Il faut susciter un effet de masse pour permettre ensuite au système de se transmette à des échelles plus petites et jusqu’aux particuliers. Les bailleurs sociaux, qui gèrent plusieurs milliers de logements, peuvent enclencher cet effet de masse qui, de toute façon, leur sera bénéfique en retour.

Quand vous dites « effet de masse », cela représente combien de logements ?

Si on raisonne à l’échelle macroéconomique, il faudrait pouvoir lancer quelques dizaines de milliers de logements pour qu’une filière puisse se structurer sur l’ensemble du territoire français. Nous avons déjà 2000 logements en Pays de la Loire, 3000 en Auvergne-Rhône Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur devrait pouvoir au moins en générer quelques milliers de plus. Nous avons un programme qui va démarrer très bientôt en Occitanie et en Nouvelle Aquitaine. Cela peut aller relativement vite.

A l’échelle d’un bailleur social, qui s’inscrira dans cet ensemble, cela peut concerner dans un premier temps quelques centaines ou même quelques dizaines de logements.

Quelles sont les aides disponibles pour les organismes Hlm ?

Elles sont multiples. Il y a d’abord les enveloppes disponibles dans le cadre du Plan France relance que l’Etat vient d’annoncer et qui pourra financer, entre autres, les opérations EnergieSprong des organismes Hlm. Il y a aussi la possibilité d’obtenir des CEE bonifiés. Les fonds européens Feder peuvent également être sollicités dans certains cas. Et puis, enfin, les pouvoirs locaux, régions, départements ou intercommunalités, peuvent décider de soutenir ces opérations. En Pays de la Loire, c’est déjà le cas. Cela fait aussi partie de notre mission, de sensibiliser les pouvoirs publics locaux.

Comment peut faire un bailleur social pour harmoniser toutes ces aides ?

C’est justement là que nous intervenons. Nous proposons aux organismes Hlm d’analyser les opérations potentielles qu’ils auraient identifiées, de faire des simulations avec le panel d’aides possibles et de voir si ces opérations peuvent être équilibrées avec EnergieSprong. Nous sommes là pour faciliter la prise de décision en donnant au maître d’ouvrage tous les éléments objectifs. Le bailleur prend ensuite sa décision en toute souveraineté.

Vous parliez de filière. Cela suppose des entreprises spécialisées…

Oui, en parallèle nous préparons les entreprises à s’adapter à ce marché. Les majors ont déjà commencé à se structurer pour pouvoir y répondre, mais il ne faut pas qu’elles soient les seuls interlocuteurs des maîtres d’ouvrage. En local, le tissu des PME doit pouvoir y accéder aussi. Nous allons rencontrer les fédérations professionnelles, les pôles de compétences et tous les regroupements d’entreprises pour discuter avec eux de la meilleure façon de les appuyer pour les préparer à cette approche nouvelle et leur permettre de répondre aux appels d’offres. Au final, cela veut dire que nous allons accompagner le développement d’une filière économique autour d’acteurs prêts à se lancer dans ce nouveau concept de rénovations très performantes et garanties, et faire en sorte d’équilibrer l’offre avec la demande potentielle.

Le concept vient des Pays-Bas, « du nord ». Est-ce qu’il va être pertinent en France et dans le sud ?

Justement, un des gros enjeux se situe à ce niveau-là, et particulièrement en Paca. Le confort de vie en climat méditerranéen est forcément différent de celui des Pays-Bas. Il va donc falloir adapter le concept EnergieSprong. Nous y travaillons aussi et nous ne pourrons le faire qu’en osmose, en co-construction, avec les acteurs locaux, les entreprises, les collectivités et les maîtres d’ouvrage. C’est à cette condition que pourra s’installer la faisabilité économique et la réussite du concept.

PATRICK GOEURIOT : « NOUS ALLONS MULTIPLIER LES REHABILITATIONS ENERGIESPRONG DANS LES ANNEES A VENIR »

Patrick Goeuriot est directeur développement et patrimoine chez ICF Habitat Nord-Est.

(photo DR)

Comment êtes-vous venu à EnergieSprong ?

La Sncf développe une stratégie développement durable importante et elle a décidé de la décliner au sein de toutes ses filiales, ICF Habitat Nord-est comme les autres. Poussés par cette exigence, nous avons répondu début 2017 à la demande de GreenFlex qui cherchait à monter des opérations pilotes EnergieSprong.

Quel était le programme ?

Il s’agissait de 12 logements individuels en bande à côté d’Amiens. Le chauffage était assuré par une chaudière individuelle gaz et nous avions une étiquette énergétique E. Les façades étaient simples et faciles d’accès, nous pensions que c’était faisable.

Nous avons lancé un appel d’offres en conception-réalisation et à l’époque il n’y avait que les majors qui étaient prêts à répondre à ce genre de demande. Bouygues et Eiffage ont répondu et c’est Bouygues qui a été désigné.

Quelle était la teneur des travaux ?

Nous avons placé sur les façades des panneaux d’isolation préfabriqués en atelier. La pose a été relativement rapide, avec un minimum de nuisance pour les locataires et nous avons ensuite installé des panneaux photovoltaïques sur les toitures. En parallèle à cette intervention type EnergieSprong, la réhabilitation comprenait également une mise aux normes électriques à l’intérieur du logement et une reprise des salles de bains.

Ces logements ont été livrés en 2018. Quel est le bilan aujourd’hui ?

Très positif. Dès la première année, nous nous sommes aperçus que nous avions produit plus d’énergie que de besoin. Et les chiffres ont été confirmés la deuxième année. Pour les locataires, la facture globale a été diminuée et le confort augmenté. Les travaux ont été terminés en octobre 2018 et jusqu’à fin novembre, les logements n’ont pas eu besoin de chauffage. Dalkia, l’entreprise qui suit les consommations grâce à des capteurs dans tous les logements, a réalisé également un suivi-formation des ménages pour les familiariser avec les nouvelles conditions d’utilisation.

Vous avez l’intention de renouveler l’expérience EnergieSprong sur d’autres programmes ?

Les 12 logements traités font partie d’un ensemble de 60 logements. Nous allons aujourd’hui profiter des financements du Plan de relance pour réhabiliter les logements restants. Nous avons par ailleurs plusieurs autres projets en cours, notamment sur Hauts-de-France et Grand-Est, où nous travaillons en ce moment avec les Associations régionales Hlm pour identifier des potentialités EnergieSprong. En théorie, nous devrions pouvoir appliquer le concept sur 200 logements en Hauts-de-France et au moins un immeuble entier à Strasbourg.

Dans la mesure où les prix baissent et où les aides augmentent, les coûts de ce type d’interventions deviennent tout à fait abordables même s’ils restent encore un peu au-dessus des réhabilitations classiques. Et il reste toujours la possibilité de solliciter les collectivités locales qui sont plutôt assez réceptives pour ce type de réhabilitations. Dans les années à venir, nous allons multiplier les réhabilitations EnergieSprong sur l’ensemble de notre patrimoine, sur la France entière.

Localement, GreenFlex annonce que des PME locales sont désormais en capacité d’intervenir selon les procédés constructifs EnergieSprong. Vous avez noté cela aussi sur le terrain ?

Tout à fait. Des entreprises locales proposent maintenant des produits intéressants dans la logique EnergieSprong. Un écosystème est en train d’apparaître avec des propositions variées sur la partie technique. Je pense que nous aurons une variété plus grande de choix pour nos prochains appels d’offres.

Copyright 2010 © AR Hlm PACA & Corse Le Saint-Georges
97, avenue de la Corse 13007 Marseille
Directeur de la publication : Pascal GALLARD,
Rédacteurs : Michel COUARTOU, Aurélien DEROCHE

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