N°4 – Janvier 2020

FAIT RELIGIEUX : LE MOUVEMENT Hlm REGIONAL SE MOBILISE

La montée du fait religieux peut être source de difficultés dans le management des équipes ou le service rendu. Le secteur Hlm n’est pas épargné y compris par des manifestations les plus radicales. Mieux connaître les principes fondamentaux, préciser les limites des missions, acquérir des postures professionnelles, appréhender les outils et les procédures : autant de clés que visent à donner les sessions de formation « Valeurs de la République & Laïcité » ou d’information et d’échanges sur la radicalisation religieuse. L’AR Hlm PACA & Corse est à la manœuvre sur les deux axes.

Le fait religieux est une problématique grandissante dans le secteur Hlm dans un contexte qui lui donne une acuité particulière.

Les bailleurs sociaux y sont confrontés à deux titres : en tant que gestionnaires d’immeubles dans le service rendu aux locataires et en tant qu’employeurs dans le management de leurs personnels. L’Association régionale s’est mobilisée depuis plusieurs années pour sensibiliser ses adhérents notamment dans le cadre d’ateliers régionaux « ressources humaines ».

Comment prendre en compte la montée du fait religieux dans la gestion du personnel des organismes ? Comment donner les moyens à ces personnels de réagir à la manifestation du fait religieux, y compris radicale ?

Une formation dédiée à destination des personnels d’organismes Hlm

Cette démarche s’est renforcée récemment avec le plan de formation « Valeurs de la République et Laïcité » engagé par le CGET (Commissariat général à l’égalité des territoires, successeur de la Datar), notamment dans les quartiers politique de la ville (QPV) pour favoriser l’acquisition de postures professionnelles par le personnel de proximité face à la montée du fait religieux. L’Association régionale a contribué au déploiement régional de ce plan de formation, en partenariat avec la DRDJSCS (direction régionale et départementale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale) et avec l’appui d’expertise de Cité Ressources (ex-CRPV PACA – Centre de ressources pour la politique de la ville).

« C’est une démarche de pédagogie, explique Hanafi Chabbi, chef de mission « politique de la ville » de la DRDJSCS, qui est appuyée sur des cas concrets et pratiques tirés d’expériences vécues. Le champ du logement social y est largement traité avec des exemples précis qui interrogent la laïcité dans le champ de la relation espace public/espace privé. Tous les personnels qui sont en contact avec du public sortent de ces formations sécurisés dans leur positionnement professionnel vis-à-vis de ces publics. »

L’AR Hlm PACA & Corse a apporté son appui à l’organisation de sessions spécifiques au secteur Hlm. Quatre sessions inter-organismes de deux journées (trois régionales au printemps, à l’été et à l’automne 2019 puis une, plus spécifique aux Alpes-Maritimes, à l’hiver 2019) ont bénéficié à près d’une cinquantaine de salariés issus d’une dizaine d’organismes Hlm, deux sessions intra-organismes ont eu lieu, pour l’OPH 05 (qui a formé l’ensemble de son personnel) et pour Erilia.

Les participants à la session des Alpes-Maritimes (photo Cité Ressources)

Les retours très positifs amèneront l’Association régionale et Cité Ressources à proposer de nouvelles sessions en 2020. (voir ci-dessous l’interview de Laetitia Derenne, chargée de mission laïcité de Cités Ressources)

Un partenariat avec la Préfecture de police sur la radicalisation…

L’Association régionale a par ailleurs engagé un partenariat avec la Préfecture de police des Bouches-du-Rhône sur la radicalisation religieuse et les outils à disposition des personnels de proximité (comment la détecter, mais aussi comment la signaler aux services).

Là encore, il s’agit de « dépassionner » le sujet en permettant aux personnels de mieux appréhender les situations, de connaître les réponses adaptées et d’être informés des suites apportées aux signalements. En effet, plusieurs niveaux de réponses peuvent être déclenchés, y compris un accompagnement social spécifique des familles. Les salariés des organismes Hlm savent ainsi qu’ils n’ont pas à hésiter à signaler même si un doute subsiste. La réponse sera proportionnée à la réalité de la situation.

Fin 2018, le Préfet de police est venu en personne au Saint-Georges rencontrer les bailleurs sociaux et une nouvelle séance d’échanges sur la radicalisation religieuse est en préparation pour 2020.

L’action se décline donc selon deux axes distincts mais complémentaires, avec un objectif commun : faciliter le travail des salariés Hlm tout en favorisant le vivre ensemble et en œuvrant pour la sécurité. (Contact Florent Léonardi)

OLIVIER DE MAZiÈRES : « NOUS FAISONS DU SUR-MESURE AVEC CHAQUE BAILLEUR SOCIAL »

Olivier de Mazières est Préfet de police des Bouches-du-Rhône depuis juillet 2017. Il souligne l’enjeu d’un partenariat à adapter à chaque bailleur social au profit de la tranquillité dans les résidences Hlm, y compris en luttant contre la radicalisation religieuse.

(photo Préfecture de police)

Vous avez mis en place un partenariat avec les bailleurs sociaux pour mieux identifier les signes de radicalisation dans les programmes immobiliers qu’ils gèrent. Quel a été votre objectif ?

Ce partenariat constitue pour nous un des éléments du maillage du territoire par ce que nous appelons des « capteurs d’alerte ». Notre logique est de former, sur le terrain, des personnes capables de repérer des signaux ou des lieux de radicalisation. Les bailleurs sociaux sont un de ces acteurs au même titre que l’Education nationale, les transports en commun, les entreprises, les associations ou les collectivités locales. Tous ces acteurs ont une vigilance à avoir et une méthodologie d’organisation avec les services de l’Etat.

Quelle est la nature de ce partenariat ?

Il est plus large que la seule problématique de la radicalisation. Nous mettons en place des engagements réciproques qui concernent également les trafics, la protection des personnels, la lutte contre le squat, l’enlèvement des épaves de voitures, la sécurité sur les chantiers… Nous avons déjà signé 3 conventions spécifiques avec des bailleurs (13 Habitat, Logirem et Erilia). Les problématiques sont évidemment similaires, mais pour que notre partenariat soit efficace, il faut qu’il soit adapté à chaque situation. Nous devons faire du « sur-mesure » avec chacun et nous avons pour objectif de signer encore d’autres conventions avec d’autres bailleurs sociaux.

Pas de convention-cadre avec le mouvement Hlm ?

Ce n’est pas nécessaire. J’ai de très bonnes relations avec l’Association régionale des organismes Hlm et nous avons un réel échange. Je suis venu personnellement au Saint Georges en décembre 2018 rencontrer une délégation de dirigeants de bailleurs. Le partenariat doit être ciblé et adapté à chacun d’entre eux. Les principaux organismes Hlm siègent d’ailleurs dans les Conseils de sécurité que nous avons mis en place en février 2018 et qui existent dans chaque arrondissement de Marseille et dans chaque commune du département. Toutes les problématiques de délinquance de proximité y sont abordées, entre les services de police, les organismes Hlm, l’Education nationale, les transports en commun et les services de la Métropole. C’est un partenariat à mailles multiples.

Etes-vous satisfait de ce partenariat avec les organismes Hlm et quelles améliorations auriez-vous envie d’y apporter ?

Il faut plutôt se poser la question inverse : les bailleurs sont-ils satisfaits ? J’ai pour ma part le sentiment qu’ils le sont. Nous sommes en capacité de leur répondre plus efficacement et dans des meilleurs délais. Nous avons fait fin 2018 une évaluation de nos actions avec eux. Une trentaine de bailleurs sociaux ont participé à cette évaluation et nous ont fait remonter une forte adhésion. D’une façon générale, je suis très favorable à ce que nos liens se renforcent. Plus on sensibilisera les personnels, mieux ce sera. Et le turn-over des salariés exige qu’on renouvelle souvent ces sensibilisations.

En cas de signalement, par le personnel d’un bailleur social par exemple, que se passe-t-il après ?

Nous évaluons la dangerosité de l’individu qu’on nous a signalé et nous déterminons le niveau de suivi qu’il faudra y apporter. Si nous ne détectons pas de dangerosité particulière (certaines personnes peuvent avoir une pratique radicale de leur religion sans pour autant présenter de danger pour la société), nous ne mettons aucune mesure en place, aucun suivi particulier.

Dans d’autres cas, nous instaurons un suivi qui peut avoir des niveaux différents. Et nous travaillons en étroite collaboration avec la cellule de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles dans laquelle siègent l’ARS, la CAF, le Département et qui est déclinée sur tout le territoire au travers de cellules municipales. Cette cellule peut octroyer des aides au logement, des formations, régler les problèmes de parentalité… Elle a une approche sociale.

Les bailleurs sociaux n’y siègent pas car les instances à privilégier restent les Conseils de sécurité.

LAETITIA DERENNE : « IL Y A DES BASES JURIDIQUES CLAIRES AU PRINCIPE DE LAÏCITE »

Laetitia Derenne est chargée d’information et de communication de Cité Ressources (ex CRPV PACA), référente « laïcité ». Elle explique comment le kit de formation de deux jours, conçu par le CGET et déployé en Paca par la DRDJSCS et Cité Ressources, apporte de la clarté aux personnels confrontés au quotidien au fait religieux. Certaines sessions sont organisées au Saint Georges quand d’autres, sur demande, peuvent être montées en interne pour les organismes qui le voudraient.

(photo Michel Couartou)

Cité Ressources prodigue des formations sur la laïcité et les valeurs de la République. Comment vous êtes-vous lancés dans ces formations ?

La genèse ne vient pas de nous. C’est un module conçu dès 2015 par le CGET. La laïcité est un sujet polémique, entouré d’une certaine confusion. L’idée était qu’on pouvait ne pas être d’accord sur son aspect philosophique ou politique, mais qu’il y avait des bases juridiques claires qui précisent le principe. Et puis, c’est une idée qui a réellement un sens dans l’histoire de France et le contexte actuel.

En réunissant des historiens, des juristes, des sociologues, le CGET a donc mis au point un kit de formation de deux jours qui réunit la théorie et la pratique. Il y a d’abord un rappel historique, depuis Clovis, qui retrace les liens entre l’Eglise et le pouvoir politique, jusqu’à la loi de 1905 qui est, en fait, une loi d’équilibre et d’apaisement. Ensuite, on fait un focus sur le vocabulaire, pour être sûr de savoir réellement de quoi on parle, et puis on aborde le côté juridique. Ça c’est pour la théorie.

Côté pratique, on étudie des cas concrets qui parlent à des personnels de terrain, à partir d’expériences vécues. Et on décrypte ensemble ces différents cas pour l’acquisition de postures professionnelles.

Donc, au départ, ce n’est pas une formation destinée aux bailleurs sociaux ?

Pas spécifiquement, c’est un projet porté par la DRDJSCS et qui s’adresse à l’ensemble des acteurs de la politique de la ville ou de la jeunesse et des sports. Cité Ressources vient, depuis 2016, en appui dans la région pour tout ce qui est logistique et animation même du réseau. Nous proposons des sessions de formation de deux jours aux acteurs de la politique de la ville, associations, services des collectivités ou de l’Etat. Fin 2019, plus de 4 000 personnes en PACA, dont la majorité dans les Bouches-du-Rhône, ont suivi ces formations. Nombre de travailleurs sociaux, médiateurs, animateurs, notamment, possèdent aujourd’hui les outils de décryptage.

Et les organismes Hlm ?

Nous avons constaté, dès 2018, que nous touchions peu les bailleurs sociaux en direct. Avec l’AR Hlm Paca & Corse, nous avons mis en place quatre sessions spécifiques, trois inter-organismes régionales qui ont eu lieu dans leurs locaux du Saint-Georges, et une à Nice pour les Alpes-Maritimes. De plus, certains bailleurs ont souhaité bénéficier de sessions en interne : l’OPH 05 et Erilia.
A ce jour, plus de 130 salariés de 11 organismes Hlm ont été formés.

Vous leur prodiguez une formation adaptée ?

Non, ou alors vraiment à la marge. Il n’y a pas forcément de véritable spécificité des situations pour le personnel des organismes Hlm par rapport à d’autres acteurs confrontés au fait religieux. Au regard des principes de la laïcité, la différence essentielle vient du fait que l’employeur soit public ou privé. C’est ce statut qui implique une différence sur le droit et donc dans la posture professionnelle du personnel.

Cette formation apporte de la clarté aux salariés. Elle leur procure les clés pour élaborer un argumentaire et une posture face à ce fait religieux. Une attitude plus universelle que la première réaction, forcément plus émotive. Souvent, la laïcité est sollicitée pour répondre à d’autres champs que ceux qu’elle doit normalement recouvrir. Nous replaçons tout ça. La loi de 1905 est une loi d’équilibre et je dirais même une loi de liberté. Le principe de laïcité est un principe qui autorise avant de restreindre et qui interdit par exception. Nous expliquons tout cela.

Comment réagissent les personnes qui suivent cette formation ?

Au départ, il y a souvent trois groupes assez constants. Ceux qui viennent pour un intérêt professionnel, ceux qui y trouvent un intérêt personnel et ceux qui y sont contraints et qui n’y voient pas d’intérêt. A la fin, selon une étude menée à la demande du CGET, plus de 90 % sont satisfaits. Et là encore, sans spécificité particulière des bailleurs sociaux. On a remarqué d’ailleurs que les organismes Hlm intéressés envoient souvent leurs personnels suivre nos sessions, même si elles ne sont pas des sessions dédiées « logement social ».

Les gens qui sortent de ces formations apprécient de pouvoir parler de façon apaisée de sujets très polémiques, avec un réel argumentaire juridique. Et les groupes de nos sessions sont toujours mixtes, en termes de structure d’appartenance, mais aussi de fonction professionnelle ou de statuts (dirigeants comme employés). Et pourtant, au final, tout le monde s’y retrouve.

Vous faites aussi des formations de formateurs. Est-ce que des bailleurs sociaux vous ont sollicités pour ce type d’intervention ?

Oui, dans le but de former eux-mêmes en interne leurs salariés. C’est une approche que nous pouvons développer avec ceux qui le voudraient. Nous aimerions aussi pouvoir renouveler en 2020 des sessions avec l’AR Hlm Paca & Corse. En 2019, celles proposées ont suscité un vrai intérêt.

 

 

Copyright 2010 © AR Hlm PACA & Corse Le Saint-Georges
97, avenue de la Corse 13007 Marseille
Directeur de la publication : Pascal GALLARD,
Rédacteurs : Michel COUARTOU,  Florent LEONARDI

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