N°6 – décembre 2020

SURETE DES CHANTIERS : ENTREPRISES ET BAILLEURS SOCIAUX AGISSENT EN PARTENARIAT

Engagé dès 2004, le partenariat entre l’Association régionale et la Fédération du BTP 13 se poursuit aujourd’hui au travers des réunions mensuelles de la commission « sûreté chantiers ». Ce travail a permis de co-construire une boîte à outils indispensable pour le bon déroulement de chantiers en sites « sensibles ». Prolongement inattendu, la mise en réseau au sein de cette commission a facilité la surveillance des chantiers arrêtés pour cause de confinement.

Depuis plus de quinze ans, l’AR Hlm Paca & Corse est mobilisée en faveur de la sécurité et de la tranquillité dans les quartiers Hlm. Une multiplication des vols et des pressions à l’embauche (racket déguisé) sur les chantiers en QPV a motivé la création d’un dispositif partenarial de lutte contre les blocages de ces chantiers.

Dès 2004, une expérimentation est conduite à Marseille en partenariat avec la Fédération du BTP 13, la Police nationale (avec une brigade dédiée) et le Parquet. Il s’agissait de travailler sur deux axes, la prévention (accès à l’emploi et insertion) et la répression (en facilitant les procédures d’alerte et les dépôts de plaintes). Ce dispositif a été élargi au département des Bouches-du-Rhône en 2007 et d’autres départements sur le territoire national s’en sont largement inspirés à partir de 2008.

Écrêtage de la tour K à La Castellane, Erilia (photo Florent Léonardi pour l’AR Hlm PACA & Corse)

Une démarche partenariale de réflexion

En juin 2016, la fédération du BTP 13 et l’Association régionale lancent une démarche partenariale pour renforcer la sécurisation des chantiers. Il s’agissait de bâtir une réflexion commune dans l’optique de formaliser un cadre d’intervention et un programme d’actions. La démarche consistait à réfléchir ensemble sur des procédures à suivre, avant et pendant le chantier, à l’extérieur comme à l’intérieur, pour sécuriser au maximum son déroulement et sa bonne fin. Les travaux s’appuient sur le dispositif Ras-le Vol, spécifique au secteur du BTP.

« Nous sommes encore aujourd’hui la seule fédération départementale en France qui a créé et entretenu au fil des années une relation de partenariat avancée avec les bailleurs sociaux », se félicite Florence Magnan, directrice de la FBTP 13. Très vite, la démarche a abouti à la rédaction d’une Charte « chantiers responsables » signée lors du Congrès Hlm qui s’est tenu à Marseille en 2018 par les deux partenaires ainsi que le Préfet de police et la Préfète déléguée pour l’égalité des chances.

Cette Charte, qui stipule des engagements réciproques, s’articule autour de trois thématiques : insertion, environnement et sécurité. Bailleurs et entreprises s’engagent à embaucher des candidats en insertion sur le chantier en toute transparence, maintenir le chantier « propre » et suivre les recommandations du dispositif Ras le vol en cas de besoin.

Elaboration d’une « boîte à outils »

Dès 2017, cette réflexion commune s’est concrétisée à travers une « commission sûreté chantiers », animée par Pierre N’Diaye de la société Eiffage Construction (voir plus loin son interview). Depuis lors, cette commission se réunit tous les mois pour faire un point sur les chantiers en cours, échanger entre les partenaires, et élaborer une sorte de « boîte à outils » qui puisse servir à tous les bailleurs confrontés à des problèmes de sécurité sur leurs chantiers.

Outre la rédaction de la Charte, en effet, la commission a élaboré une « fiche de procédure » qui permet de synthétiser les différentes actions préconisées pour la réussite des chantiers. Cette fiche récapitule tous les éléments à prendre en compte, avant et pendant le chantier. En amont, un certain nombre de renseignements permettent de brosser un « profil » complet du site : localisation, contexte social, proximité ou non d’équipements publics, transports, démarches engagées, indicateurs socio-économiques…

La fiche de procédure détaille ensuite les moyens mis en œuvre pour l’information des riverains et des locataires, les clauses d’insertion du marché, les contacts « ressources ». Le maître d’ouvrage doit prévoir une date de visite du site avant la clôture de l’appel d’offres. Les entreprises devront être informées des atouts et des éventuelles tensions dans le quartier.

Une fois le chantier démarré, une liste de nombreux points à cocher pendant son déroulement sont très précisément détaillés dans la fiche. « Ces documents, partagés entre les organismes Hlm, maîtres d’ouvrage, et les entreprises, favorisent une réelle prévention, une grande réactivité et une traçabilité essentielle des éventuels incidents. La commission a permis que s’instaure un vrai dialogue, un vrai partage des préoccupations des uns et des autres, et une prise de décision commune », précise Florence Magnan.

Des actions de sensibilisation des salariés

En parallèle, la commission a piloté l’organisation des « Assises de la sécurité » qui se déroulent chaque année depuis 2018 et permettent de dresser un bilan des actions menées et de leur efficacité, en partenariat avec la Préfecture de police des Bouches-du-Rhône. Depuis 2019, la commission organise des sessions de sensibilisation des salariés des entreprises qui interviennent sur des chantiers en site sensible.

Ces sensibilisations (aux menaces, aux vols, à la radicalisation) permettent aux salariés et aux responsables des chantiers d’anticiper les éventuels problèmes et surtout de connaître les réponses à y apporter, aussi bien en termes de procédures que de postures à adopter.

Florent Léonardi, directeur adjoint de l’AR Hlm PACA & Corse, co-animateur de la commission « sûreté chantiers » souligne « la qualité d’un partenariat sans cesse questionné et innovant pour répondre aux besoins et à l’évolution de contexte. Co-production d’outils et de méthodes partagés, information des salariés pour l’acquisition de postures appropriées sont les deux axes principaux de ce partenariat. Ils ont vocation à être dupliqués sur d’autres territoires et ce laboratoire permanent a toujours bénéficié du regard attentif du niveau national. Mais c’est une véritable mise en réseau entreprises/maîtres d’ouvrage sociaux/forces de l’ordre qui contribue au final à une sûreté plus efficace des chantiers ».

Tous les acteurs qui se retrouvent régulièrement au sein de la commission « sûreté chantiers » sont unanimes pour louer la qualité de l’écoute et des échanges. Cette attention mutuelle a permis de réagir très vite à la situation difficile des chantiers arrêtés pendant le premier confinement. L’ensemble de ce dispositif fonctionne aussi grâce à la confiance de la Police nationale par l’implication du préfet, de la DDSP (direction départementale de la sécurité publique) et, bien sûr, l’ensemble des forces de l’ordre présentes sur le terrain.

« L’habitude de travailler ensemble a permis une réaction très rapide lors du premier confinement, explique Sophie Crémieux, responsable « Emploi Insertion » et correspondante Sûreté chantiers en lien direct avec Police et Gendarmerie au sein de la FBTP 13. Nous avons pu organiser des rondes de police régulières pour sécuriser les chantiers qui ont été mis à l’arrêt forcé d’un jour à l’autre. Cette expérience de vigilance accrue va d’ailleurs être déclinée à nouveau pendant la période des vacances de Noël pour surveiller les chantiers qui vont être en sous-activité ».

PIERRE N’DIAYE : « NOUS AVONS BATI UN SOCLE DE REFERENCES COMMUNES »

Pierre N’Diaye est responsable « Productivité, qualité, sécurité, environnement et de l’insertion » chez Eiffage Construction sud-est, et chef de file de la commission « sûreté chantiers ».

© Eiffage Construction

Vous animez la commission « sûreté chantiers » depuis son installation. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

C’est pour moi une implication évidente. Il est très rare que des représentants des entreprises, des organismes Hlm, de la Police, de la Gendarmerie et du secteur emploi/insertion se réunissent pour parler de projets communs. Et encore moins qu’ils le fassent tous les mois. Nous avons un objectif commun à porter et il est normal de s’y impliquer.

Il y a eu beaucoup de difficultés et même de blocages sur les chantiers ces dernières années. Et dans la commission nous avons une volonté très forte de réussir les opérations de construction ou de rénovation nécessaires à la société en général.

Vous faites allusion à quelles difficultés ?

Menaces, blocages, difficultés à trouver des personnels sur certains chantiers, rackets, vols… il a fallu dialoguer, se mettre tous autour d’une table, comprendre les enjeux de chacun, leurs difficultés et agir collectivement. Au-delà du dispositif Ras le Vol, la commission « sûreté chantiers » libère régulièrement la parole de tous les intervenants, on prend l’habitude d’échanger et de créer ensemble des documents, des dispositifs, des réponses collectives aux problèmes auxquels nous sommes tous confrontés.

Vous avez élaboré et signé au sein de la commission la Charte « chantiers responsables »…

Oui, cela a été le fruit d’un an de travail en commun. Nous voulions bâtir un socle de références, une base simple autour de laquelle nos engagements respectifs étaient affirmés dans l’objectif de la réussite commune. La Préfecture de Police (Police nationale et Gendarmerie), la Préfète déléguée pour l’égalité des chances, les entreprises et les bailleurs sociaux ont signé cette Charte.

Nous avons également mis en place des fiches de procédure qui permettent à chacun d’avoir une vision simple et claire de ce qu’il faut faire selon les circonstances et les événements qui peuvent se produire sur le chantier. Et surtout de synthétiser des préconisations pour l’organisation d’un partenariat opérationnel sur site qui permet d’assurer la réussite collective du déroulement du chantier.

Vous pouvez donner des exemples ?

Détailler les caractéristiques du site sur lequel doit se dérouler le chantier, organiser une reconnaissance préalable, éventuellement avec les forces de police, concevoir les actions d’information à mener auprès des habitants proches ou des locataires quand il s’agit d’une réhabilitation, anticiper l’embauche locale sur les clauses d’insertion, partager les contacts « ressources » (associations, centres sociaux…)… Les sujets sont innombrables.

Au-delà de la création de ces documents, vous avez d’autres actions ?

Nous montons des sessions de sensibilisation des personnels des entreprises sur les conditions de travail dans certains quartiers, les codes, les postures, les réactions à certaines demandes. Nous faisons aussi un accompagnement individualisé au cas par cas, par chantier, par employé.

Les salariés de nos entreprises ne sont pas a priori formés pour rencontrer les situations que nous voyons sur certains chantiers. Cela ne rentre pas dans le cursus habituel de leur formation. Et nous sommes bien entendu en articulation totale avec le dispositif Ras le Vol qui bénéficie d’un accompagnement fort de la Fédération du BTP 13.

Une réunion tous les mois, est-ce que ce n’est pas une trop grande fréquence ?

Détrompez-vous, chaque mois nous avons des éléments nouveaux. Nous menons régulièrement un suivi précis des procédures en cours. On écoute ce que chacun apporte à la commission à partir de son expérience sur le terrain. Nous progressons énormément en écoutant simplement les témoignages des uns et des autres. Nous progressons ensemble et c’est ça qui est passionnant.

Au départ, nous avons réagi à une situation. Mais très vite nous nous sommes mis à travailler sur la prévention, sur l’amont. Nous avons beaucoup progressé sur la préparation des chantiers, plusieurs mois avant le démarrage. Nous avons créé des sessions de sensibilisation pour les salariés, pour l’information de la population sur place. Ces travaux de préparation prennent un temps important de nos réunions mensuelles et ils sont essentiels pour la réussite future de nos chantiers communs.

NICOLAS CONVERSET : « TOUT SEULS NOUS N’Y ARRIVERIONS PAS »

Nicolas Converset est DRH et responsable qualité du groupe Soléazur, une entreprise de gros œuvre de 150 salariés. Il est un des membres assidus de la commission « sûreté chantiers ».

(Photo DR)

Pourquoi faites-vous partie de cette commission ?

Cela fait plusieurs années que j’y participe et le bilan est largement positif. Beaucoup d’entreprises ont du mal à lutter seules contre les petites choses, les petits vols, les petites disparitions de matériel. Ça concerne aussi bien les entreprises générales que les PME du second œuvre. C’est souvent peu quantifiable, mais ça finit par faire un budget tout au long d’un chantier.

En tant que DRH d’une PME, je crois que je me dois de participer à des actions communes et construire des choses avec mes partenaires.

Que retirez-vous de ces échanges pour votre entreprise ?

Personnellement, j’aime échanger avec les autres intervenants d’un chantier, les maîtres d’ouvrage, les autres entreprises. Au sein de la commission, j’apprécie particulièrement le dialogue avec les organismes Hlm.

Mais mon entreprise travaille peu sur des chantiers publics. Nous avons plutôt des clients privés qui sont en général beaucoup moins sensibilisés à ces problématiques. Les échanges auxquels je participe dans la commission me permettent de sensibiliser nos chefs de chantier qui eux-mêmes peuvent alors sensibiliser le maître d’ouvrage.

Quel est le problème récurrent que vous rencontrez sur vos chantiers ?

Sans aucun doute, c’est la difficulté à faire prendre conscience qu’il faut très vite faire appel à la police. Sur les chantiers, les personnels ne se formalisent pas d’un petit vol, de petites disparitions de matériel, de jeunes qui grimpent sur les grues le soir… Ils pensent que ça ne sert à rien d’appeler la police et en réalité, c’est de ne rien faire qui ne mène à rien.

La commission sûreté nous permet justement de développer des contacts avec tous les autres partenaires. C’est plus simple ensuite de faire passer des messages, d’informer de ce qui se passe, comme par exemple sur un chantier que nous avons eu à Aubagne où ce sont les riverains qui étaient menacés. Il faut pouvoir trouver des réponses à ce genre de situations et tout seuls nous n’y arriverions pas.

Jeanine Fialon : « Il y a une volonté partagée de bien faire »

Jeanine Fialon est responsable du pôle Renouvellement urbain chez Logirem (groupe Habitat en Région). Elle est un des piliers historiques de la commission « sûreté chantiers ».

(Photo Logirem)

Qu’est-ce que vous apporte la commission « sûreté chantiers » ?

Une meilleure maîtrise des situations. Au départ, cette commission intervenait un peu en « pompiers », c’est-à-dire pour résoudre les problèmes une fois qu’ils se posaient. Aujourd’hui, nous travaillons beaucoup sur le préventif. La Charte chantiers responsables est un bon exemple de ce travail en amont. Aujourd’hui, les bailleurs sociaux sont de plus en plus nombreux à intégrer cette Charte dans leurs appels d’offres.

Nous faisons en sorte, sur les chantiers qui se préparent, d’appréhender en amont les conditions, connaître le quartier, identifier les partenaires, savoir quels sont les publics du voisinage. Nous proposons même quelquefois l’organisation de visites préalables du site. La commission sûreté préconise également aux maîtres d’ouvrage d’inscrire dans les documents de consultation des entreprises (DCE) une fiche de renseignements sur la résidence qui fera l’objet des travaux.

Ils le font ?

De plus en plus. Les entreprises sont là pour travailler. Nous, organismes Hlm, sommes là pour leur faciliter au maximum la tâche. Nous leur indiquons donc les caractéristiques du chantier, les moyens d’accès, le contexte général, quelles sont les équipes relais sur place… et cela notamment sur les chantiers de rénovation urbaine.

Logirem a été parmi les premiers maîtres d’ouvrage à pratiquer ainsi, il y a 2 ans, grâce aux travaux de la commission. Filiale du groupe « Habitat en région », Logirem a fait partager son expérience aux autres sociétés du groupe afin qu’elles testent cette approche. Désormais, depuis un an, toutes les sociétés du groupe pratiquent ainsi dans les DCE.

Il faut être membre de la commission pour avoir accès à ces documents ?

Pas du tout. Tous les bailleurs sociaux ne sont pas présents au sein de la commission, mais la « boîte à outils » que nous avons mise en place peut servir à tous. Elle est le garant d’un partenariat solide qui multiplie les chances de réussite du chantier.

Est-ce que des représentants des habitants siègent avec vous ?

Le nombre d’intervenants au sein de la commission est volontairement restreint. Les habitants n’y sont pas. Tout simplement parce qu’il ne peut pas y avoir de représentativité globale des habitants. Mais sur chaque résidence, lorsqu’il y a une association de locataires, elle est systématiquement associée, avec un partage des informations et des conditions de déroulement du chantier (le planning et l’impact sur leur vie au quotidien). L’information aux habitants est très importante. Quelquefois même, des personnels des organismes Hlm assurent des permanences sur le site pour répondre à tout moment en direct à toutes les questions.

Le rythme mensuel de réunion de la commission ne vous semble pas trop fréquent ?

Il y a bien sûr des séances plus denses que d’autres. Nous avons créé des documents-types, la Charte chantiers responsables, comme vous le savez, mais aussi des pièces adaptées pour les appels d’offres, différentes versions de nos fiches réflexes, également adaptées aux différents contextes. Pendant le premier confinement, nous avons travaillé aux conditions de reprise des chantiers. La dernière de nos réunions a consisté à préparer les Assises de la sécurité. Nous avons largement de quoi nourrir nos échanges.

Vous savez, la participation à cette commission, c’est un engagement. Et puis, nous n’hésitons pas à aborder entre nous les événements qui se passent sur les chantiers, nous nous donnons régulièrement des informations de manière informelle. Ce sont aussi ce genre de relations, simples, directes, qui nous permettent d’avancer ensemble. Chacun d’entre nous sait qu’il peut compter sur les autres. Il y a à la fois un respect commun et une volonté partagée de bien faire.

 

Copyright 2010 © AR Hlm PACA & Corse Le Saint-Georges
97, avenue de la Corse 13007 Marseille
Directeur de la publication : Pascal GALLARD,
Rédacteurs : Michel COUARTOU, Florent LEONARDI

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