Patrick Amico : « Le problème du logement à Marseille n’est pas un problème de construction, c’est un problème d’urgence sociale »

Patrick Amico est adjoint au maire de Marseille, chargé du logement et de la lutte contre l’habitat indigne

© Michel Couartou

Vous avez invité récemment les bailleurs sociaux à une rencontre. Quel était votre objectif ? 

J’ai organisé effectivement une réunion avec les bailleurs sociaux il y a une quinzaine de jours (c’était le 1er février, NDLR). Suite à la manifestation des locataires d’HMP, je voulais échanger avec eux sur les problèmes d’énergie. Je voulais comprendre quelles étaient leurs approches et effectivement, j’ai vu que selon les contrats, tous les bailleurs n’achètent pas au même prix. Ma proposition était de bâtir ensemble une position commune, bailleurs et ville de Marseille, pour essayer d’intervenir auprès de l’État sur des questions globales concernant les problématiques énergétiques. Et notamment la facturation des charges auprès des locataires. Du côté de la ville, Marseille Habitat a décidé de bloquer les loyers pendant l’année 2023. 

Qu’est-ce que vous avez retiré de cette rencontre ? 

Nous sommes restés sur cette approche qui est de bâtir des stratégies communes. Nous nous sommes mis d’accord pour une nouvelle rencontre le 15 mars pour aborder un point qui me tient à cœur, la production des logements sociaux. Là-dessus, je ne suis pas d’accord pour considérer que, fatalement, on ne pourra pas arriver à produire les 2 500 logements sociaux qui sont fixés comme objectif dans le prochain PLH.  

J’entends dire que les bailleurs sociaux n’auraient plus les capacités financières pour construire, entre RLS, augmentation du Livret A et problématiques énergétiques. Ne mélangeons pas tout. La RLS a été digérée, bon gré mal gré, et le taux du Livret A, tout le monde sait très bien que c’est conjoncturel, l’Etat ne peut pas accepter d’avoir un taux à 3 % pendant trop longtemps. Il devra baisser dans quelque temps.  

Et puis, ce chiffre de 2 500 logements sociaux, il n’est pas venu d’un caprice des services de la Ville. Ils sont nécessaires. C’est un objectif qui a été totalement partagé, entre tous les intervenants, avec la Métropole et avec l’État. Nous sommes sur un constat largement partagé. 

La question qui se pose maintenant aux acteurs n’est pas de savoir si on va pouvoir arriver à réaliser ces logements, mais plutôt de se dire comment nous allons faire. Cet objectif s’impose à nous, il est vital et nécessaire, il répond à des besoins réels. Nous ne devons pas juste essayer de l’atteindre, nous devons l’atteindre. La question est comment nous allons faire. C’est une approche totalement différente.  

Justement, quels sont les moyens à votre disposition ? 

Eh bien, il faut peut-être adapter les outils qui sont en notre possession, adapter le PLH et le PLU. Si effectivement, on constate que le PLU ne permet pas de faire les 4 500 à 5 000 logements par an (beaucoup de professionnels avancent le chiffre de 3 000 logements que permettrait le PLU), qu’est-ce qui nous empêche d’aller négocier avec l’État ? Nous sommes en période de crise, il faut prendre des mesures de crise. Une modification de PLU, ça prend deux ans, une révision, cinq ans. On n’a plus le temps d’attendre. Il faut demander à l’Etat de gérer une situation de crise.  

Et pour pouvoir porter cette demande, il faut absolument qu’il y ait un consensus fort de tous les acteurs, un partenariat étroit, serré et efficace entre les bailleurs, la Ville de Marseille et les promoteurs privés. C’est fondamental. Aujourd’hui, j’ai l’impression que tout le monde se regarde en chien de faïence en disant, de toute façon, on n’y arrivera pas, on n’aura pas le foncier, on n’aura pas les financements… Discutons tous ensemble et donnons-nous les moyens de faire.  

Plus concrètement ?  

Nous allons nous lancer dans des contrats de mixité sociale. Voilà des moyens opérationnels. Nous allons descendre à l’échelle de l’arrondissement, la loi nous le permet. Il est clair que nous avons de très grandes disparités à Marseille d’un arrondissement à l’autre. En matière de quota SRU, certains sont très loin du compte. Cela va nous permettre d’étaler la production et de confirmer de manière très concrète et très opérationnelle quels sont les secteurs où nous pouvons développer la construction de logements en général et de logements sociaux en particulier.  

Dans les fiches actions qui sont jointes au PLH, il y a quand même des fonciers identifiés, des projets assez précis qui sont déjà posés. Le contrat de mixité sociale va les confirmer. A partir de là, à l’évidence, il y aura un affichage à faire avec l’ensemble des partenaires, qu’ils soient promoteurs ou bailleurs sociaux, puisqu’au final, c’est quand même, hélas, les promoteurs qui produisent la majorité des logements sociaux.  

Cet affichage doit être très clair sur la posture des uns et des autres vis-à-vis de la production globale de logements sur Marseille.  

A quelle échéance pensez-vous qu’on puisse atteindre l’objectif fixé ? 

Cette année ? L’année prochaine ? Le « quand », personne ne peut vraiment y répondre. Je constate une chose, il y a quand même un nombre supérieur de permis de construire qui a été déposé cette année. Il y a quand même là une indication intéressante.  

Et puis, il faut voir ce qui va se passer sur les premiers mois de 2023. Je voudrais absolument qu’on arrête les discussions stériles, comme on a pu voir au début du mandat, sur la légalité où l’illégalité des permis, sur le fait de construire au maximum des capacités du PLU ou pas, sur la capacité d’adaptation, d’intégration et d’acceptation de la population vis-à-vis des projets immobiliers… De toute façon, pour arriver à 4 500 logements par an, il faut construire !  

Pour notre part, nous avançons avec beaucoup de transparence sur toutes nos démarches, en associant toutes les parties prenantes sur des projets qui peuvent être proposés très en amont. 

Est-ce que vous avez déjà identifié des pistes ? 

Il y a déjà des choses que les bailleurs sociaux peuvent faire eux-mêmes tout de suite de manière directe. Est-ce que tous les bailleurs, comme certains d’entre eux l’ont déjà fait, ont vraiment cherché à optimiser les potentialités de densification dans leurs propres résidences ? Pas forcément dans les quartiers déjà fortement dotés en logements sociaux, évidemment, mais il y a des possibilités dans beaucoup d’autres quartiers. Il y a peut-être des logiques ou des réflexions à avoir ensemble. La densification dans certains quartiers est une véritable option. Comment la Ville peut-elle travailler avec les Hlm pour anticiper des opérations de reconditionnement de bâtiments, de densification, de surélévation… C’est un travail que nous devons mener ensemble de manière systématique et pas simplement au fil de de l’eau, en fonction des différents projets qui sortent.  

 Globalement, sur la production, quels sont les leviers sur lesquels vous pouvez agir ? 

En matière d’agréments, en 2022, avec 800 logements agréés sur Marseille, il faut reconnaître qu’on n’a pas été bons. Pour répondre à ça, il n’y a qu’une seule réponse : un travail en partenariat complet avec les bailleurs et les promoteurs. C’est ce que nous allons discuter dès le 15 mars. Et je mettrai tout de suite dans la discussion deux engagements que nous avons pris dans la charte des États généraux.  

Le premier, c’est la mise en place de prix de plafonds de sortie par zone. Le but est de maîtriser autant que possible la hausse incontrôlée des coûts de foncier qui est la conséquence de l’intervention de tous les promoteurs sur le même terrain. Et en même temps, de maîtriser aussi plus spécifiquement les produits d’accession sociale ou des produits de type BRS, en sachant exactement quelles sont les fourchettes de prix de sortie dans lesquelles on veut se situer pour aller vers les publics spécifiques. C’est important.  

Le deuxième engagement, c’est de faire ce qu’avait fait Dominique Estrosi-Sassone à Nice, et qui a été repris ensuite à Annemasse ou à Toulon et à Lyon d’une autre manière. Il s’agit de fixer un prix pour la Vefa de logements sociaux : elle se vend tel prix à tel endroit. Cela rend les choses beaucoup plus claires pour le promoteur, mais surtout, ça permet de répondre à la question de la capacité à faire des bailleurs sociaux. S’ils achètent à 3 500 € du mètre carré, des logements qu’ils pourraient acheter à 2 500 €, et qu’ils se font, comme c’est encore trop souvent le cas, de la concurrence entre eux, c’est sûr qu’ils auront moins de fonds propres pour produire.  

Je veux aller sur ce terrain-là. Et pour cela, il faut que tout le monde se mette autour de la table pour parler. Dans un premier temps, je vais entendre chacun indépendamment, pour bien comprendre les arguments et les objectifs de chacun. Quel est un prix acceptable, par zone, pour les bailleurs sociaux ? Il faut en parler parce qu’ils ne sont pas tous sur la même approche. Il va bien falloir trouver un compromis entre bailleurs là-dessus. Aux promoteurs je vais dire sur telle zone vous allez produire 30 % de logements sociaux, mais ils sauront à quel prix. Ce qui va leur permettre de renégocier même le foncier.  

Sur ce sujet, est-ce que la Ville peut dégager du foncier communal ? 

La ville n’a pas des masses énormes de terrains municipaux comme ça à disposition. Il y a encore des terrains publics qui appartiennent à l’État, ou qui appartiennent à la SNCF. Pour moi, ça fait partie de la même démarche que de demander à l’État d’envisager des procédures spécifiques. Comment on fait pour sortir de la crise du logement à Marseille ? C’est un débat qu’on doit avoir avec l’État, avec la SNCF, éventuellement avec d’autres… Il faut mettre en place un recensement plus fin des terrains publics encore disponibles.  

Mais le deuxième sujet, c’est la problématique de l’aménagement. On a un aménageur à Marseille, Euroméditerranée, qui produit du logement.  On a un autre aménageur, la Soleam, qui ne produit pas. Euromed travaille sur une zone géographique bien donnée, la Soleam travaille sur tout le reste, il y a tout de même un petit problème, non ? Tous les deux ont la capacité de faire, mais il y a une quinzaine de ZAC à la Soleam qui sont toutes quasiment en clôture et plus aucun projet derrière. On a un besoin urgent d’aménagement, on a un besoin de contrôle foncier, d’achat de foncier par des aménageurs. On ne voit pas aujourd’hui vraiment de développement particulièrement frénétique de ce côté-là. C’est une question d’outils et de volonté politique. C’est tout un débat qu’on a commencé à avoir avec la Soleam. Mais il pourrait y avoir aussi d’autres aménageurs…  

Par exemple ? 

En ce qui nous concerne, Ville de Marseille, nous avons une structure qui s’appelle Marseille Habitat et qui pourrait tout à fait intervenir sur des petites opérations en centre-ville et permettre de produire du logement. C’est une solution que nous sommes en train d’étudier de très près.  

Sur le centre-ville, justement, il y a le PPA qui va se déployer. Est-ce que ce pourrait être une solution pour produire des logements sociaux ?  

Le travail que fait la SPLA-IN sur le centre-ville est absolument nécessaire et essentiel, l’appropriation publique et la production publique de logements. Mais par le biais des dispositifs liés au PPA, quand on aura atteint 20 % de la production globale de logements sur le centre-ville, ce sera vraiment colossal. Il faut être réaliste, 80 % de la production va être privée, même si ce pourra être du privé social ou des opérations soutenues par l’Anah, mais du privé tout de même. La masse de logements locatifs sociaux réalisés par des organismes Hlm ne va pas être si énorme que ça dans les années à venir. Globalement, quand on aura produit, à travers des opérations de réhabilitation, 500 à 700 logements par an, ce sera déjà énorme.  

Si on regarde le premier appel à manifestation d’intérêt qui a été lancé, sur des immeubles publics, on voit bien que ça va concerner à peu près 200 logements. Il y a 30 immeubles concernés, on va donc être dans ces eaux-là. C’est beaucoup par rapport à ce qui s’est produit ces dernières années, mais on est loin des 2 000 ou 2 500 logements à produire. Ça y participe, mais ce n’est pas ça qui va faire la production.  

Qu’est-ce qui pourrait faire la production ?  

Le problème c’est qu’on ne peut pas travailler sur un seul point sans travailler aussi sur tous les autres. Qu’on parle de l’habitat indigne, qu’on parle des copropriétés en difficulté, qu’on parle de l’Anru, qu’on parle du centre-ville, qu’on parle des demandes massives en logements sociaux, la seule attitude lucide aujourd’hui, c’est de dire que ces problèmes-là ne sont pas des problèmes d’immobilier ou de construction, ce sont des problèmes d’urgence sociale. Quand on dit qu’à Marseille, il y a 12 000 personnes dans la rue, c’est un problème d’urgence sociale. Quand on dit qu’il y a 41 000 demandeurs de logement, c’est une urgence sociale. Quand on dit qu’il y a encore de l’ordre de 40 000 logements indignes, c’est une urgence sociale.  

Cette urgence sociale, elle est immédiate. Ce n’est pas en disant qu’on va remettre sur le marché quelques milliers de logements vacants ou qu’on va produire 700 logements en réhabilitation qu’on répond à cette urgence sociale immédiate. On sait très bien que, quels que soient les dispositifs qui seront mis en place, ça va prendre du temps. On peut dire tout ce qu’on veut, on peut s’agiter comme des cabris en sautant sur nos chaises et en disant, « on construit, on construit », ce n’est pas pour autant que le problème sera réglé. Cela va prendre des années, nous le savons tous.  

D’après vous, régler l’urgence immédiate pourrait se faire de quelle manière ? 

En changeant de paradigme. Il faut bien comprendre que, pour ce qui est de l’immédiat, nous devons nous projeter dans une situation de sortie de crise. La production est une réponse à moyen terme et, je le répète, elle demande que nous soyons tous main dans la main avec en tête non pas la quantification de la production mais la mise en place des moyens pour produire. Mais pour l’immédiat, je pense que l’Etat va devoir mettre son nez de façon prioritaire dans la problématique logement à Marseille parce qu’il n’aura pas d’autre choix.  

Cela peut passer par un aménagement des règles et des lois en vigueur, cela peut même passer par un texte de loi spécifique de sortie de crise parce que la situation est totalement atypique et qu’il faut des solutions atypiques. Depuis le plus haut niveau de l’État et toutes les courroies de transmission jusqu’au niveau local, les partenaires, collectivités, bailleurs, promoteurs, tout le monde doit être conscient que nous avons besoin de solutions de sortie de crise.  

Quand il y a eu l’explosion de l’usine AZF à Toulouse ou quand le Gard et le Vaucluse ont été ravagés par des inondations, tout le monde s’est mobilisé pour trouver des solutions en urgence, des centaines de mobil-homes ont été installés en quelques semaines pour gérer des situations qui ont duré jusqu’à deux ans. Il y avait une crise majeure, on l’a résolue. Si demain, comme cela s’est passé en Turquie, nous sommes touchés par un tremblement de terre, nous réagirons dans l’urgence. La situation du logement à Marseille est une situation grave d’urgence et ce n’est que par des solutions fortes et immédiates qu’elle pourra être résolue. Avec des approches nouvelles et différentes.  

Quand vous dites ça, vous pensez à quel types d’approches ?  

Pour l’instant il y a des discussions avec l’État, qui d’ailleurs a toujours été à l’écoute. Quand on a commencé à parler de contrats de mixité sociale à l’échelle des arrondissements, le préfet Mirmand a été complètement d’accord, quand on avait parlé à Emmanuelle Wargon, ministre du logement, des objectifs du plan de relance au niveau communal et pas métropolitain, elle a été d’accord, et lorsqu’on parle des 34 engagements de l’État avec Olivier Klein, il est d’accord et il les signe. Quand on voit la pression que met le président de la République sur les sujets marseillais et l’intérêt qu’il y porte, je pense qu’il y a encore des choses qu’on peut clairement faire évoluer avec l’État sur la question du logement. Je pense sincèrement qu’il va falloir aller encore plus loin.  

En parallèle à la démarche menée avec les bailleurs sociaux… ? 

Bien sûr, et je le répète, la question du partenariat est essentielle. Et la notion de « sortie de crise » indispensable à garder en tête. On est arrivé à bâtir des choses en catastrophe lorsque les deux crises immobilières ont frappé le pays. On a racheté en masse, à l’époque, des dizaines de milliers de logements aux promoteurs privés qui risquaient de partir en faillite. Ça s’est fait à toute vitesse. Et ça a fonctionné les deux fois. Pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer des solutions qui décoiffent complètement sur la production de logements à Marseille ?  

Vous avez convié à nouveau les bailleurs le 15 mars*. Ce sera le sujet de cette réunion ? 

Lors de cette réunion, il y aura trois sujets importants. D’abord, celui des problématiques énergétiques. Est-ce qu’on est capable de faire une synthèse un peu claire et voir quelles sont les actions qui pourraient relever de la collectivité publique, principalement de l’État ou de la Métropole, qui permettent d’amortir les situations.  

Ensuite, il y a le sujet de la Vefa. C’est un point que je veux absolument aborder et voir la manière dont on peut commencer à travailler sur ce sujet, qui pour moi est important. Enfin, le troisième point, c’est la manière dont on relance de manière publique, officielle et structurée une politique de partenariat qui aujourd’hui n’apparaît pas. Et je ne parle pas de communication. Il va bien falloir se poser sérieusement la question de ce qu’est une politique de partenariat. Est-ce qu’il y a des accords sur des choses précises qu’on peut mettre sur le papier et sur lesquels il faut qu’on travaille ensemble ? Est-ce que la question de la capacité constructive du PLU, par exemple, peut être relayée au niveau des bailleurs sociaux ? Il faut qu’on élabore une politique commune. Les bailleurs sociaux ne peuvent pas rester dans une prudence totale en disant « on fait ce qu’on peut, mais on n’a pas les moyens ». Il va falloir qu’ils s’engagent. Et je pense qu’ils en ont envie, si j’en juge par les conversations que j’ai avec les uns et les autres. 

Mais une fois qu’on a dit tout ça, la question est de savoir comment on y va. C’est justement pour qu’on invente ensemble le chemin que j’ai organisé la rencontre du 15 mars.   

(*) date ayant évolué depuis l’interview

Print Friendly, PDF & Email