Philippe de Mester : « Nous avons grand besoin des bailleurs sociaux »

Philippe de Mester est directeur général de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur.

(Photo © DR)

Vous vous êtes rapproché dernièrement de l’Association régionale pour étudier des axes de partenariat. Dans quels domaines pensez-vous que cela soit possible ?

Il y a plusieurs champs de travail potentiel en commun. On voit apparaître de grosses problématiques de santé dans les grands ensembles de quartiers Hlm, à Marseille, à Nice, et ailleurs. La population de ces quartiers n’a pas un accès facile aux soins. Ce sont, d’une façon générale, des gens très éloignés des pratiques administratives (pas de culture du rendez-vous chez le médecin, souvent pas de carte Vitale…). Une partie plus ou moins importante de cette population est d’ailleurs quelquefois étrangère et cela ne facilite pas l’accès à l’administration. Et puis, il faut bien dire que dans ces territoires la présence de personnel soignant (médecins, infirmiers, dentistes, kinés…) est beaucoup moins importante qu’ailleurs.

Cette situation nous préoccupe fortement. L’ARS veut mener une politique volontariste dans ces quartiers avec l’installation de « centres de santé » qui soient également capables de prendre en charge une écoute et un accompagnement social. Le « Château en santé », dans le Parc Kallisté à Marseille, en est un bon exemple.

Je parle de santé somatique mais aussi de santé mentale. Nous sommes déjà en partenariat avec plusieurs associations, comme par exemple Santé Environnement pour tous (SET), et nous sommes instigateurs, au côté des bailleurs sociaux et de l’hôpital Edouard Toulouse, du GCSMS santé mentale.

Nous voulons donner un coup d’accélérateur à cette politique d’installation de centres de santé et pour cela nous avons un grand besoin des bailleurs sociaux. J’aimerais que nous puissions avancer très vite sur cette question.

A Marseille principalement, mais aussi dans bien d’autres communes de la région, la qualité dégradée de l’habitat fait qu’il y a un grand besoin de relogements. Là aussi, vous disiez vouloir établir un partenariat plus fort avec les bailleurs…

C’est exact. Le problème de l’insalubrité des logements est un problème récurrent partout dans la région. C’est un sujet extrêmement lourd globalement, mais qui ne concerne directement le logement social qu’à la marge. En revanche, les organismes Hlm peuvent être d’une aide précieuse pour ce qui est du relogement des ménages concernés. Je voudrais que nous arrivions à un fonctionnement plus fluide, il faut pouvoir ensemble se dépêtrer des règles extrêmement contraignantes d’attribution. Je connais bien le contexte puisque j’ai été directeur général de l’Opac du Rhône pendant plusieurs années. La réforme en cours de la demande et des attributions apporte, certes, plus de transparence au dispositif, mais elle y introduit en même temps encore plus de règles, qui sont autant de nouvelles contraintes. Il faut réfléchir ensemble à cette problématique, pourquoi pas dans un groupe de travail dédié, et faire des propositions aux pouvoirs publics.

On ne peut pas se satisfaire, à Marseille, que des milliers de personnes soient encore, au moment où je vous parle, hébergées à l’hôtel. On en dénombre entre 1000 et 1500, quelles que soient les raisons pour lesquelles elles ont été délogées. Cela pose de graves problèmes de santé, de santé mentale, d’alimentation, de développement des enfants… On n’en parle quasiment pas, mais c’est un grave problème de santé publique.

L’ARS est également impliquée dans le plan quinquennal du Logement d’abord…

Oui, ce plan propose une réforme structurelle de l’accès au logement pour les personnes sans-domicile. Il répond à une saturation toujours croissante des dispositifs d’hébergement d’urgence. On appelle ça le « rétablissement », amener quelqu’un à se réinsérer dans la vie à travers le logement, avec un accompagnement social. Cela concerne les situations difficiles, des personnes à la rue depuis longtemps ou longtemps hospitalisées.

Il y a différents types d’approche. Nous pouvons être dans une logique « pension de famille », c’est-à-dire une résidence dédiée avec accompagnement de travailleurs sociaux, une « maîtresse de maison » pour gérer le quotidien et un studio par personne (en général des gens qui reviennent de la rue). Ou alors la logique est de travailler dans le diffus, dans des logements dispersés, avec un suivi par des associations spécialisées, en général créées par des soignants psy, et là, ce sont plutôt les gens qui sortent d’hospitalisation qui sont concernés.

Tout cela est très important pour nous. Ces problématiques de santé mentale sont trop souvent sous-estimées. Ou alors elles sont acceptées comme une fatalité, on dit « il est fou ». Mais c’est une maladie. Heureusement qu’il y a beaucoup de gens qui s’en sortent, qui guérissent. Et c’est très bien qu’il y ait des dispositifs pour le leur permettre.

C’est un travail de longue haleine. D’abord, il nous faut démontrer aux bailleurs sociaux que nous pouvons assumer efficacement l’échelle de l’accompagnement social. Ensuite, il faut travailler avec l’environnement dans les résidences Hlm, convaincre les autres locataires, organiser le meilleur contexte. C’est difficile, mais on y arrive.

Vous souhaitez intervenir également dans la rénovation des Ehpad. En quoi le mouvement Hlm peut être un partenaire ?

Oui, cette action est financée dans le cadre du Segur pour la santé. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, il y a 90 millions d’euros fléchés sur l’adaptation des Ehpad au handicap et au grand âge. Nous allons mener un travail plus précis sur ces thèmes dès la conception des établissements. Je voudrais créer une dynamique plus forte. Pourquoi ne pas prévoir d’emblée un ou deux logements totalement adaptés, avec accès facilité, portes plus larges, fenêtre et volets électriques…

Il y a trois catégories d’Ehpad. Ceux qui sont gérés par les grands groupes sont des « produits » à but très lucratif et ils possèdent très peu de lits dits « sociaux ». Ceux qui sont directement rattachés à un hôpital prodiguent plutôt des soins sur des longues durées. Et ceux qui sont gérés par des associations, souvent des congrégations religieuses mais pas uniquement, ont en général très peu de moyens financiers et ont grandement besoin d’être rénovés.

L’ARS veut investir dans ces établissements. Il y en 70 sur la région, dont 40 gérés par des associations. Dans une grande majorité des cas, la reconstruction des locaux, très vétustes, s’impose. Est-ce que le monde Hlm est partant pour se mobiliser ? Est-ce que les organismes ont envie de s’impliquer dans ce type de résidence spécialisée ? L’ARS gère les enveloppes financières et peut avoir le soutien de la Caisse des dépôts. Nous aimerions prendre langue avec des bailleurs sociaux pour envisager une action commune.

BIO

  • Philippe De Mester a débuté sa carrière de fonctionnaire en 1986 au ministère de l’intérieur à sa sortie de l’Ena.
  • Il entame une carrière dans la « préfectorale » en tant que directeur de cabinet de plusieurs préfets (Manche, Guadeloupe, Tarn, Val-de-Marne).
  • En 1996, il est missionné pour créer la nouvelle Agence régionale de l’hospitalisation d’Alsace.
  • Deux ans plus tard, il devient directeur général des services du conseil régional de Haute-Normandie, puis préfet de Mayotte.
  • Entre juillet 2002 et janvier 2004, il est préfet des Alpes-de-Haute-Provence.
  • En 2004, il devient directeur régional de Réseau ferré de France pour Rhône-Alpes et l’Auvergne.
  • Et directeur général de l’Opac du Rhône en 2009, directeur général des services de la région Rhône-Alpes en 2012 et préfet de la Somme en 2016.
  • Il est nommé directeur général de l’ARS Paca en janvier 2019.

 

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