Claude Bertolino : « Nos métiers sont en train de changer totalement »

Claude Bertolino est directrice générale de l’Etablissement public foncier (EPF Provence-Alpes-Côte d’Azur). Elle annonce une période de « sobriété foncière » qui va totalement chambouler les pratiques actuelles de la production de logements.

 

Photo © EPF Provence-Alpes-Côte d’Azur

On sait que, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, le foncier est traditionnellement rare et donc cher. Comment voyez-vous évoluer votre action dans les prochaines années ?  

Nos métiers sont en train de changer radicalement, du tout au tout. Nous allons rentrer dans une période de sobriété foncière accrue, et cela va tout changer.

La Loi Climat Résilience du 22 août dernier prévoit de diviser par deux l’étalement urbain d’ici 2030 et d’arriver à la « zéro artificialisation nette » en 2050. Sur des fonciers non bâtis, cette loi va avoir un effet direct sur les prix. Nous allons assister à une sorte de « choc de l’offre » quand les propriétaires actuels vont vouloir profiter le plus tôt possible de leur « tas d’or » avant qu’il ne fonde.

Les prix du foncier hors la ville vont donc chuter, mais pas dans la ville où la rareté foncière va continuer à être la norme. Il va falloir raisonner en logements à l’hectare. Et comme les EPCI vont désormais pouvoir faire aussi l’inventaire de leurs zones d’activités, peut-être même qu’on va raisonner en nombre d’emplois à l’hectare.

Nous sommes réellement entrés dans une période où la donne est totalement renouvelée. Cela demande une agilité plus grande des acteurs et de l’écosystème d’opérateurs à laquelle tous ne sont pas préparés.

Quand vous dites « nos métiers changent », cela implique quoi concrètement ?

Les bailleurs sociaux se mettent à être des aménageurs, on dissocie de plus en plus le foncier et le bâti, l’acquisition-amélioration a le vent en poupe, la Vefa (Vente en Etat Futur d’Achèvement soit la construction par un promoteur de logements locatifs sociaux) s’amenuise. Sur ce dernier point, on constate que les mises en chantier entre fin 2019 et juillet 2021 ont chuté de 5 000 logements sur l’ensemble de la Région. Cela veut dire 1 500 à 2 500 logements sociaux en moins en VEFA notamment. Voilà en quoi je dis que nos métiers changent. Nous ne pouvons plus raisonner comme avant.

L’EPF Provence-Alpes-Côte d’Azur a fait une grande année en 2018. En 2020, malgré la crise sanitaire, nous avons fait le même volume d’activités, mais le nombre de transactions a commencé à exploser. Désormais, pour faire le même volume d’activités, nous sommes obligés de signer près de 40 % de plus d’actes notariés (exercice 2021). L’approche n’est plus du tout la même.

C’est pour cela que vous avez organisé, en partenariat avec la Dreal et l’AR Hlm Paca & Corse, des webinaires sur la stratégie foncière ?

Ces webinaires ont montré, dans la pratique, ces changements profonds à l’œuvre. Ils ont été très appréciés par les participants, bien conçus, bien organisés, avec des interventions riches et denses. Ils ont montré quoi ? Une grande majorité de nouvelles pratiques, la création d’OFS (organismes de foncier solidaire) avec des opérations à Bandol, des surélévations d’immeubles à Aix-en-Provence, des interventions quasi chirurgicales en centres anciens à Carpentras ou à Toulon …

On sent qu’il y a des vraies prises de risques de production nouvelle de la part des organismes Hlm, une vraie volonté de produire malgré tout. Mais ces opérations très innovantes produisent peu, en quantité. Nous sommes en train de passer d’un système qui produisait beaucoup de logements rapidement à un système qui en produit beaucoup moins et plus lentement. Objectivement, notre écosystème change du tout au tout.

Comment voyez-vous 2022 ?

A l’EPF, nous avons une vision pluriannuelle par rapport au stock de foncier dont nous disposons. Au-delà de la seule année prochaine, nous avons devant nous une production théorique de l’ordre de 70 000 logements. Cela nous donne une bonne visibilité programmatique et cela veut dire que nous pouvons objectivement accompagner absolument tous les opérateurs qui veulent produire.

A l’inverse des idées reçues, je vois de nombreux maires qui sont volontaires pour construire des logements. Depuis l’automne 2020, nous sommes en pointe sur la France par rapport à tous les autres EPF notamment sur les préemptions et les OFS. A Coudoux dans les Bouches-du-Rhône, à Pertuis dans le Vaucluse, à Solliès-Pont dans le Var, à Grasse dans les Alpes-Maritimes, nous avons bâti des stratégies foncières à long terme avec les élus de façon pluriannuelle. Tous ces maires bâtisseurs ont été réélus haut la main.

La légende a vécu. Les maires bâtisseurs n’ont pas vocation à perdre les élections. Si les choses sont faites intelligemment, il n’y a pas de soucis. Il faut tordre le cou à ces ritournelles totalement fausses. C’est comme celle qui dit que l’EPF favorise les promoteurs privés et la Vefa. Nous faisons deux tiers de nos opérations en gré à gré et un tiers en consultation. Les bailleurs sociaux font-ils deux tiers de maîtrise d’ouvrage directe ? Toutes ces légendes sont faciles à croire, mais elles sont fausses.

Comment se situe l’EPF par rapport à la production régionale de logements locatifs sociaux ?

La proportion est stable. En 2018, nous avons participé à la création de 1 800 logements sociaux, c’était un record. Cette année, en 2021, nous devrions atteindre 1 430 logements locatifs sociaux. Nous sommes régulièrement entre 12 et 15 % de la production locative sociale. La TSE (taxe spéciale d’équipement, perçue au profit des EPF, NDLR) devrait se maintenir sur les prochaines années, avec une compensation de l’Etat à l’euro près. Nous continuerons à « faire le job », nous sommes encore durablement là. A titre d’exemple, sur les 3 mois à venir, nous allons faire 80 actes par mois, ce qui représente entre 3 et 4 actes par jour. C’est considérable.

 

 

 

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